La perspective en jeu : les dessous de l’image

Résumé du livre La perspective en jeu : les dessous de l’image. Extrait de l’introduction du premier chapitre :  » Devant une carte d »Italie, on dira : « C’est l’Italie ». Pourtant, chacun sait qu’entre ce pays qu’on nomme l’Italie et un simple contour sur une feuille de papier, il existe une différence. Mais alors, par quel miracle une image peut-elle faire voir, du premier coup d’œil, une chose alors que précisément elle n’est pas cette chose ? « 

La perspective en jeu : les dessous de l’image, Phillipe Comar, 1992, 128 pages

La Perspective en jeu : les dessous de l'image

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Qui est Philippe Comar ?

Philippe Comar, né en 1955 à Boulogne-Billancourt, est un artiste pluridisciplinaire français. Il est également un scénographe, commissaire d’expositions et écrivain reconnu.

Ses créations artistiques ont été exposées au Centre Georges Pompidou ou encore à la Biennale de Venise. L’une de ses réalisations les plus notables est l’exposition « Sténopé » qu’il a conçue. Dédiée à la perspective, cette exposition est présentée depuis 1987 à la Cité des Sciences de la Villette.

De 1979 à 2018, Philippe Comar a été un enseignant de dessin et de morphologie à l’École nationale supérieure des beaux-arts (Ensba) de Paris.

Quelques ouvrages de l’auteur de La perspective en jeu :

Ventre, 2022

Figures du corps, une leçon d’anatomie à l’école des beaux-arts, 2009

Les Images du corps, 1993

Sommaire

La perspective en jeu : les dessous de l’image

Comment une image peut nous faire voir une chose alors qu’elle n’est pas cette chose ?

I. Le compas dans l’œil

Chaque image entretient un lien visible avec ce qu’elle représente. Cependant, leur différence ne réside pas tant dans le sujet que dans la manière de le traduire.

Il existe autant de manières de dessiner un visage qu’il y a de personnes pour l’interpréter. Pourtant, nous reconnaissons toujours ce visage. Cela soulève alors la question de la ressemblance. En quoi toutes ces images ressemblent-elles à leur référent et non pas à autre chose ?

La géométrie est une grammaire possible des ressemblances

La ressemblance entre une image et son sujet ne dépend pas uniquement des ombres, des lumières, ou encore des couleurs mais également de la géométrie.

Pour comparer une image avec son sujet, il suffit alors d’observer les transformations et les métamorphoses de l’espace qui permettent de passer de l’un à l’autre.

L’espace et ses doubles : l’art de la réplique

En utilisant les règles de la géométrie, il est possible de répéter des formes. La répétitions implique le déplacement d’une forme dans l’espace tout en conservant ses mesures intactes. Elle permet de créer un motif stable et résistant à l’imprévu.

Cela soulève également la question de la copie conforme, où si une forme est reproduite parfaitement à l’original, elle se confond avec celui-ci et génère ce qu’on appelle un déplacement nul.

répétition d'une formes donnant un motif
Un motif demande de reproduire à l’identique un forme plusieurs fois.
L’exemple de la carte

La reproduction d’une carte à échelle ou à grandeur nature serait inexploitable car elle reproduirait la complexité du visible. En revanche, une reproduction réduite à l’échelle, conservant les proportions de l’original, permet d’obtenir une vue d’ensemble.

Cependant, il faut noter que le changement d’échelle affecte également les lois physiques, telles que la densité et le temps, qui sont indépendantes de la proportion.

Représenter le réel demande de le déformer

L’affinité de l’ombre

L’affinité est un phénomène qui se produit lorsque une reproduction est dépendante de sa source, tout en restant parallèle à celle-ci. La projection ne peut qu’être une déformation de la forme originale qui dans le procédé de reproduction perd ses proportions internes.

Ce phénomène est celui qui se produit entre un sujet et son ombre.

exemple de l'ombre qui déforme son référent
L’affinité entre le lampadaire et son ombre. L’ombre ne possède pas les mêmes formes que le lampadaire. Elle les déforme.
La convergence des droites

On pourrait transposé se phénomène d’affinité sur un objet qui se trouve devant nous. Si on pouvait allonger les droites verticales qui forment cet objet vers son sommet, elles convergeraient alors en un point.

On pourrait alors observer plusieurs phénomènes :

Les droites verticales ne seraient pas parallèles comme ont pourrait le déduire.

La convergence de deux droites vers un même point permet de répéter une forme proportionnellement à l’infini.

Cette transformation géométrique ne préserve ni la mesure des objets ni la valeur des angles du réel, mais seulement l’alignement des droites.

Une géométrie à la rencontre de l’infini

Cette convergence crée une répétition des formes à l’infini, où la forme diminue dans ses proportions tout en se répétant pour représenter l’infiniment grand.

En revanche, dans le prolongement de ces lignes à l’opposé du point de convergence, la forme s’agrandit tellement que l’infini apparaît non pas dans la répétition mais dans la dimension.

Droites qui convergent vers l'infini
D’un infini à l’autre : représenter l’infini dans un espace fini

Représenter l’infini dans toutes ses dimensions au moyen de la géométrie, entraine la courbure des lignes droites qui se rejoignent à leurs extrémités opposées.

Ainsi, cela donne une sphère où les infinis s’opposent mais restent accessibles en un coup d’œil.

Les dernières audaces de la géométrie

La topologie, une branche de la géométrie remet en question nos certitudes et critères de conformité vis-à-vis des images, tout en interrogeant la notion de ressemblance.

relations entre des formes qui semblent n’avoir aucun lien apparent. En réalisant un quadrillage qui relie des points par des lignes, on peut démontrer que même après déformation, les points restent toujours reliés par les mêmes lignes. Cette étude classe les images selon leur similitude et remet en question

Ainsi, l’image et son espace ne sont pas soumis à des règles immuables, mais sont en constante métamorphose.

II. Un œil en trop

Jusqu’au 15e siècle, les peintures et représentations picturales mettent l’accent sur les qualités narratives plutôt que sur l’observation réaliste.

Les tableaux suivent leurs propres lois. Les hiérarchies sociales sont représentées par une échelle physique de grandeur, où les personnages importants apparaissent plus grands dans la représentation.

Il faut attendre la Renaissance pour que des règles logiques apparaissent, permettant une meilleure retranscription de ce que l’on voit.

Vers 1415, Filippo Brunelleschi illustre la perspective centrale

Vers 1415, Brunelleschi a inventé un dispositif nommé la tavoletta, qui permet de confondre un bâtiment réel avec une peinture. Cette expérience permet d’illustrer les principes de la perspectiva artificialis, qui consiste à passer de la tridimensionnalité à la bidimensionnalité tout en conservant l’impression de volume.

La tavoletta utilise une perspective centrale, où l’orifice correspond au point de vue de l’artiste.

Ce point, également appelé « point du sujet » ou « point de l’œil » (ou point de vue transposé), est souvent confondu avec le point de fuite principal.

La construction légitime, une méthode pour reproduire d’après une perspective centrale

Leon Battista Alberti écrivit Della Pittura, le premier traité sur la perspective. Il y expose la volonté de faire coïncider l’espace en trois dimensions du réel sur un seul plan dans la peinture.

Il y propose une méthode de construction appelée costruzione legittima basée sur la perspective centrale. Celle-ci consiste à « calculer l’image d’un objet point par point, en déterminant l’intersection des rayons visuels avec le plan du tableau« p.37 pour obtenir une construction graphique.

Les limites de la construction légitime et du point de vue central

La costruzione legittima présente l’inconvénient de nécessiter les mesures exactes du modèle préalablement connues. Donnant beaucoup de contraintes aux peintres.

Le point de vue central crée une déformation, allant à l’encontre de la perfection des corps recherchée par les artistes.

La perspective géométrique est efficace pour des formes géométriques. Cependant, elle pose problème pour les formes organiques sans délimitation précise par des arêtes.

Les solutions pour une perspective plus juste

Jean Pèlerin, introduit un nouveau point de fuite, situé sur la ligne d’horizon, et qui suit les diagonales du quadrillage du point principal.

Grâce à ces avancées en perspective, les arts sont désormais capables de reproduire l’espace visible et de créer des espaces imaginaires cohérents. Cela a conduit les disciplines artistiques à passer dans le domaine intellectuel et à devenir un art libéral.

Perspective à un point de fuite du Viator
Illustration de la perspective à un point de fuite de Jean Pèlerin.

La mise au point d’un théorème de la perspective

Gérard Desargues a développé un théorème qui unifie les divers procédés graphiques présents dans de nombreux traités de perspective. Ce théorème constitue l’essence même de la perspective et permet de ramener à deux dimensions tout ce qui se trouve dans l’espace tridimensionnel.

Voici le théorème de Desargues :

« Si deux triangles ont leurs sommets alignés à partir d’un point O, les droites qui prolongent leurs côtés se coupent deux à deux selon trois points alignés A, B, C. »

La perspective, au service de la raison ?

Desargues et son apprenti Bosse sont convaincus que l’art repose essentiellement sur la géométrie et que la raison doit primer sur la perception. Leur vision qui suscita de nombreuses polémiques, transforma la perspective en un art purement théorique et technique. jusqu’à devenir académique.

Et la sensibilité artistique dans tout cela ?

Les artistes ont vu dans la perspective un moyen de pouvoir représenter le réel mais aussi de mettre forme à leur imaginaire. Cependant, Le grand nombre de traités sur la perspective et les polémiques de Desargues et Bosse ont fait de la perspective un art purement mathématique. La sensibilité des artistes a été mise de côté, réduisant les peintres à de simples opérateurs mécaniques suivant des règles logiques.

Les artistes vont alors opter pour une utilisation plus libre de la perspective, en jouant avec et en y apportant leur subjectivité.

la perspective au bord du doute

En ce qui concerne la perspective centrale, il faudra attendre le 21e siècle pour sa résurrection, notamment avec la photographie, le cinéma et la télévision. La mécanique de la création d’image reprend au moyen de l’objectif de la chambre noire le procédé inventé par Brunelleschi 500 ans plus tôt.

Une perspective non géométrique : la perspective aérienne

Les constructions géométriques ne sont pas les seuls moyens de représenter un aspect réaliste ou cohérent. Il est possible d’utiliser la perspective aérienne qui consiste en un dégradé croissant ou décroissant des contrastes selon les différents plans du tableau. Plus on s’approche du fond, plus les contrastes sont clairs et inversement.

III. Les yeux envolés

Lorsqu’il s’agit de peinture, prendre des mesures parfaites pour conserver les bonnes dimensions d’un volume peut sembler absurde. En effet, transposer un élément en trois dimensions sur une surface plane comme une toile entraîne inévitablement des raccourcis, car les volumes s’étendent dans la profondeur. Cependant, cette question et la nécessité de reproduire parfaitement les volumes aux bonnes dimensions sont importantes pour les géomètres.

À la fin du XVIème siècle, en Europe, la géométrie des villes, des jardins et des palais, fait l’objet d’une nouvelle perspective

La perspective centrale offre un point de vue trop ponctuel et limité de ce que l’on souhaite représenter. Pour remédier à cela, les géomètres ont proposé des plans qui offrent des perspectives globales, sans point de vue, pour obtenir un rendu parfaitement mesurable en un seul coup d’œil.

la perspective parallèle

La perspective parallèle consiste à ne jamais faire converger les droites parallèles entre elles. Les objets conservent ainsi toujours leurs mesures dans l’image.

Le fait de conserver les mesures de l’objet réel sur n’importe quelle partie du plan permet de comptabiliser et d’estimer le nombre de pierres ou d’objets nécessaires pour construire un bâtiment, ainsi que les coûts liés à sa construction.

Utagawa Hiroshige, Scène imaginaire d'une performance privée de Kabuki, 1821-22
Utagawa Hiroshige, Scène imaginaire d’une performance privée de Kabuki, 1821-22 – Utilisation d’une perspective parallèle.
La perspective militaire

La perspective militaire est une représentation vu du dessus qui inclut sur le plan, l’élévation tout ce qui s’y trouve : bâtiments, arbres, maisons, remparts, armée, etc.

Son objectif est d’être efficace et de rendre compte de toutes les stratégies militaires qui doivent être mises en œuvre. Elle sert alors de document tactique important.

La perspective cavalière

La perspective parallèle prend le nom de perspective cavalière dans les domaines de la conception. Elle permet de rendre les mesures d’un objet accessibles et de se rendre compte de son aspect volumétrique. Sa grande force est de pouvoir représenter des formes en deux dimensions tout en conservant leurs mesures. C’est la perspective privilégiée en dessin technique.

perspective cavalière et perspective réelle
A gauche une perspective cavalière sans point de fuite ni ligne d’horizon. A droite une perspective réelle à deux points de fuite sur la ligne d’horizon.
La perspective descriptive

Gaspard Monge, alors professeur à l’École polytechnique, propose une géométrie descriptive basée sur la perspective parallèle. Celle-ci permet d’obtenir en deux projections toutes les mesures nécessaires pour créer un objet.

Cependant, ce type de représentation présente un grand inconvénient : malgré sa précision, elle peut proposer des formes parfois abstraites et difficiles à identifier au premier coup d’œil.

L’axonométrie, la perspective des architectes

Au début du 20e siècle, l’architecture compris les avantages de la perspective parallèle, qui permet de faire une description rationnelle sans perdre les qualités figuratives du dessin. Cette perspective a été renommée « axonométrie ».

L’axonométrie met en lumière la notion de projet, car le dessin d’architecture est une abstraction, une projection de ce qui sera réalisé. Sans point de vue, l’œil ne peut se poser et pénétrer dans le dessin. Il semble alors inaccessible, en attente de sa réalisation.

Cette perspective permet de mieux comprendre et visualiser les interactions entre les différents volumes.

IV. Des yeux en plus

Une peinture partielle ?

La perspective centrale combine la perspectiva naturalis avec ses propres règles, ce qui entraîne des problèmes de déformation. Le peintre doit faire un choix : représenter l’objet selon sa grandeur apparente ou selon sa cohérence.

Plus l’angle de vision est grand, plus une distorsion de l’image se crée. Les peintres ont donc déterminé une distance maximale à respecter pour éviter cette déformation de l’image.

Néanmoins, cette distance maximale pousse les peintres a réduire considérablement la distance entre le spectateur et la peinture. Dans certains cas, il est même demandé de regarder l’œuvre à travers un œilleton. La peinture apparait dans ces condition non plus entièrement mais amputée.

Une représentation grand angle

Pour résoudre le problème de déformation, Léonard a imaginé une représentation où les objets sont figurés selon leur grandeur apparente, créant ainsi une perspective panoramique grand angle.

Cette perspective panoramique transforme le tableau d’une surface plane en une sphère qui absorbe le spectateur en son intérieur.

La représentation en perspective panoramique engendre plusieurs problèmes :

Elle est difficile à réaliser pour les peintres.

Elle est difficile à accrocher à un mur et est donc réservée à certains lieux comme les chapelles ou les dômes de certains bâtiments religieux.

On ne peut aplanir une sphère sans altérer sa surface.

Les panoramas

À la fin du 18e siècle, de gigantesques salles cylindriques proposent un spectacle à 360 degrés de peinture, plongeant le spectateur au cœur de l’action.

Jacques Daguerre modifie ces panoramas pour y inclure des éléments du réel, proposant ainsi une expérience beaucoup plus immersive qu’on appellera diorama. Le spectateur se retrouve alors mêlé entre le vrai et le faux, entre la réalité et la fiction.

Cependant, le diorama, bien qu’il s’approche d’une image totale, n’arrive pas encore à représenter intégralement en un point ce qui se passe à la fois devant et derrière le spectateur.

Un sujet aux multiples points de vue

Il existe un autre type de perspective qui consiste en un éclatement des points de vue où l’objet contemplé. Le sujet se retrouve au centre, permettant de voir plusieurs de ses faces dans une même image.

Cette perspective a la faculté de nous faire comprendre que l’espace est continu et n’est pas restreint à un point de vue unique. Ainsi, pour appréhender pleinement un espace, il faut continuellement se remémorer les points de vue précédents, en introduisant ainsi une nouvelle variable : le temps.

Une perspective de l’espace qui prend en compte le temps

Au début de la photographie, inspirés des panoramas, les premiers appareils photo étaient parfois munis d’un système permettant des vues panoramiques.

En déplaçant l’appareil photo horizontalement, il était possible de saisir un espace plus grand mais aussi une portion du temps.

Malgré la présence de l’unité de l’espace, celle du temps ne l’était pas. La photographie, en tant qu’image figée, ne peut que suggérer le temps, mais pas le reproduire.

En comparaison, la peinture ou la sculpture possèdent peut-être la faculté de ne pas figer le temps mais de le montrer en le devançant parfois.

Une photographie de la décomposition du mouvement d'un homme sautant à la perche. Chronophotographie de Marey
Etienne-Jules Marey, Movements in Pole Vaulting 1885/1895, chronophotographie, 48.9 x 22.2 cm, Museum of Fine Arts, Houston, Texas, USA

V. La part de l’œil

Interpréter une image est complexe, car nos habitudes visuelles, notre imagination et notre culture jouent un rôle fondamental dans ce processus. Le sens de l’image se dévoile lorsque nous saisissons au moins partiellement son contenu et comprenons le rapport de ressemblance entre l’image et ce qu’elle représente

La trahison des images :  » Ceci n’est pas une pipe ! »

Avec sa peinture « Ceci n’est pas une pipe », Magritte met à l’épreuve notre capacité à reconnaître l’image. Ce que nous voyons n’est pas réellement une pipe, mais plutôt une représentation de celle-ci. C’est un point de vue de l’objet, une interprétation de l’auteur qui nous montre seulement certains aspects de l’objet.

Derrière chaque image se cache le choix d’une certaine vision du monde

L’interprétation d’un tableau peut être subjective et contradictoire selon les personnes, mais certaines données tangibles, comme la perspective, permettent de comprendre la vision de l’artiste.

Chaque perspective privilégie certains aspects de l’image en la construisant, offrant ainsi un moyen de mettre en scène l’espace et de laisser l’artiste exprimer son point de vue sur le monde.

L’œuvre d’art, une représentation du monde digérée par l’artiste

Les images ne se limitent pas à une simple imitation de l’objet ; elles ne le substituent pas non plus. Elles sont un moyen de capturer et saisir les choses pour les restituer aux yeux du spectateur.

Ce processus comporte deux étapes distinctes :

La première étape consiste en la cristallisation du sujet, sa captation.

On peut imager cette étape par le mythe de Gorgone, avec la tête de Méduse qui pétrifie du regard et transforme en pierre quiconque la fixe.

La deuxième étape consiste à lui rendre vie, à lui donner liberté.

Cette étape peut rappeler le mythe de Pygmalion, où l’artiste donne vie à sa création.

De l’image dévoratrice à celle qu’on dévore des yeux

Deux effets se produisent entre le spectateur et l’image :

– Le « tableau anthropophage », où le spectateur est happé par l’image et plonge littéralement à l’intérieur de celle-ci, comme dans un miroir.

L' »image iconophage », où le spectateur absorbe l’image qu’il regarde et projette ses propres expériences et sentiments sur celle-ci, créant une perspective intérieure.

Dans ce rapport entre le spectateur et l’image, la perspective joue un rôle important en plaçant le spectateur et en le guidant à travers l’image.

S’il faut faut de l’imagination pour faire un tableau, il en fait aussi pour le lire

L’anamorphose est une technique qui déforme délibérément l’image, obligeant le spectateur à trouver un point de vue précis pour la voir correctement. Elle remet en question notre relation à l’image et souligne que la perspective n’est pas toujours un facteur de réalisme absolu.

Elle interroge également nos habitudes visuelles et notre capacité à interpréter les images. La ressemblance d’une image dépend souvent de nos connaissances préalables ou de nos expériences passées.

L’art joue avec ces notions de ressemblance et de tromperie, créant un jeu entre ce que nous pensons voir et ce qui est réellement représenté, mettant ainsi en scène la notion de ressemblance.

La perspective en jeu d'anamorphose sur dans la peinture Les Ambassadeurs de Hans Holbein

Hans Holbein le Jeune, Les Ambassadeurs, 1533, peinture à l’huile sur panneaux de chêne, 207 × 209 cm, National Gallery, Londres Royaume-Uni
La perspective en jeu d'anamorphose sur dans la peinture Les Ambassadeurs de Hans Holbein
Le crâne est une anamorphose qui est visible lorsque le spectateur se place au bonne endroit.

Magritte insiste :  » Ceci continue de ne pas être une pipe »

L’art ne vise pas à imiter la réalité de manière parfaite, mais à montrer la différence entre l’image et l’objet réel. Il transpose les choses dans un espace différent pour nous permettre de mieux les voir et les comprendre.

La perspective joue un rôle essentiel en orientant le regard du spectateur et en mettant en évidence les contrastes. Elle offre ainsi des outils pour lire le monde de manière plus claire et lisible, à l’instar d’un plan de ville qui facilite la compréhension des informations visibles.

Et pour l’art, que faut-il retenir de La Perspective en jeu : les dessous de l’image ?

Représenter le réel c’est le déformer

Le passage du plan tridimensionnel qu’est le réel à celui en bidimensionnel demande de déformer l’image pour l’adapter au support.

C’est là tout l’art de la perspective géométrique qui, grâce aux mathématiques et aux sciences de l’espace, permet de transposer le visible sur un support.

Une reproduction n’est pas son référent

La perspective permet de garder des proportions vraisemblables et cohérentes avec ce qui nous semble la réalité. Cependant, une reproduction n’est pas son référent, elle ne peut donc s’y substituer.

Une reproduction ne possède pas les caractéristiques intrinsèques de son référent, elle n’en adopte que les traits. Même si nous reproduisions un objet identique à son référent, de sa forme jusqu’à ses matériaux, il en resterait une copie et ne pourrait s’y substituer car elle ne posséderait pas l’histoire ou l’usure de son modèle. De même, les légères fluctuations qu’opère la sensibilité de l’artiste ne pourraient être les mêmes au moment de la création du référent et de son modèle.

Entre règle et sensibilité

Les règles de perspective permettent de donner de la cohérence à nos créations. Elles sont surtout un moyen de nous donner des bases et un cadre pour pouvoir donner vie à notre imaginaire.

Connaître les règles, c’est avoir les clés pour jouer avec et explorer plus de possibilités artistiques afin de donner plus de force à sa sensibilité personnelle.

La perspective est un jeu, un moyen de composer l’image

Chaque perspective a ses avantages et ses inconvénients, mais elles permettent de montrer ce que l’artiste souhaite nous exposer.

La perspective permet de construire l’image au moyen de lignes géométriques. Elle oriente le regard et propose une représentation singulière d’un sujet tout en unifiant l’espace. Selon le type de perspective utilisé, il sera possible de déformer l’espace et le référent, interrogeant notre perception et les relations que l’on entretient avec.

La perspective et le point de vue de l’artiste

En se servant de la perspective pour composer son image, l’artiste la choisit pour orienter notre regard mais aussi pour montrer le sien.

Ainsi, une œuvre d’art ne présente pas seulement une reproduction, mais aussi la conception que l’artiste a du modèle. Il nous délivre son point de vue sur un sujet et la manière dont il le voit, nous proposant ainsi une interprétation singulière qu’il souhaite nous faire voir.

Conclusion

La perspective en jeu n’est pas un livre ennuyeux sur la technique de la perspective, bien au contraire. À travers l’histoire de cette technique, Philippe Comar nous conduit sur les événements artistiques qui ont conduit à sa naissance et aux enjeux qu’elle a suscités. Nous y apprenons l’étroite relation qu’elle entretient avec la recherche de réalisme mais également ses limites. La perspective reste une technique au service de la cohérence mais qui ne peut offrir qu’une vraisemblance avec son sujet.

Cependant, une fois cette limite acceptée, elle est un magnifique moyen d’ouvrir la voie à l’imaginaire et à la subjectivité de l’artiste, nous montrant, car il s’agit bien ici de montrer, que nous ne sommes pas face à la réalité mais bien à de l’art et de tout ce que cela implique.

J’espère que ce texte vous aidera à aborder la perspective et à mieux comprendre son rôle. Dites-moi dans les commentaires si la perspective est une technique que vous appréhendez, je suis curieux de le savoir. 😉

Pour retrouver le livre de Philippe Comar, La perspective en jeu, les dessous de l’image, c’est par ici.

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