En arts plastiques, créer ne consiste pas seulement à produire une image ou un objet « réussi ». Créer, c’est avant tout agir, faire des choix, tester, recommencer, transformer. Toute production artistique repose sur une relation étroite entre le geste, l’outil et la trace, entre l’action et la réalisation.
Estomper, coller, découper, répéter, effacer, juxtaposer… Ces actions, que l’on pratique souvent de manière intuitive, sont pourtant fondamentales. Elles structurent le processus de création et conditionnent la forme finale de l’œuvre. Derrière elles se cachent ce que l’on appelle en arts plastiques les opérations plastiques, parfois regroupées sous l’acronyme R.I.T.A.
Dans cet article, je vous propose de mettre des mots clairs sur ces mécanismes, afin de mieux comprendre les œuvres, mais aussi de mieux construire votre propre pratique artistique.
Une notion centrale en arts plastiques.
Vous commencez à me connaître, sur Les Bases en Art j’insiste régulièrement sur l’idée que l’art ne se réduit pas à un résultat final. Ce qui compte tout autant, c’est le processus, c’est-à-dire la manière dont une œuvre se fabrique.
Les opérations plastiques permettent précisément de décrire ce processus. Pour vous les présenter, je m’appuierai notamment sur les travaux de Daniel Lagoutte, docteur en Esthétique et sciences de l’art, et de Claude Reyt, docteure en Histoire de l’art, ainsi que sur des ressources issues de la pédagogie Freinet.
Qu’est-ce qu’une opération plastique ?
Une opération plastique est une opération mentale, au sens développé par Jean Piaget, appliquée au champ des arts plastiques. Elle se traduit concrètement par des actions visibles sur des images, des objets, des matériaux et ou des formes.
Ce n’est donc pas seulement un geste technique, mais un choix intentionnel : décider de répéter, d’isoler, de transformer et ou d’associer. Je dis bien « et ou » car les opérations plastiques sont complémentaires et s’associent entre-elles dans un travail artistique.
Ces opérations se regroupent en quatre grandes familles, réunies sous l’acronyme R.I.T.A. :
- Reproduire
- Isoler
- Transformer
- Associer
Cette classification constitue une véritable grille de lecture pour analyser les œuvres et structurer une démarche de création.
Pour approfondir cette approche, combinez les informations de cet article avec celles de l’article sur les notions fondamentales en arts plastiques. Vous devriez alors avoir des points de lecture pour mieux analyser les oeuvres de vos artistes préférés ! 😉
Bon, maintenant, je vous propose de voir en détail les actions possibles pour chacune des quatres opérations plastiques.
Reproduire
Reproduire consiste à refaire, copier ou répéter une forme, une image ou encore une trace.
Actions possibles :
- Copier, calquer, décalquer, etc…
- Répéter, doubler, multiplier, etc…
- Photographier, photocopier, etc…
- Faire une empreinte, un frottage, une estampe, etc…
Exemples d’artistes
Andy Warhol : avec ses séries de Marilyn ou de boîtes de soupe Campbell, la répétition mécanique interroge la perte d’unicité de l’image mais surtout son rapport vis à vis de son référent.

Claude Monet : dans les séries des Cathédrales de Rouen ou des Meules, la reproduction d’un même sujet permet d’explorer les variations de lumière et de perception.



Reproduire n’est donc pas simplement imiter. C’est souvent un moyen de faire apparaître la différence à l’intérieur du même.
Isoler
Isoler, c’est extraire un élément de son contexte ou, au contraire, le mettre en valeur par rapport à celui-ci.
Actions possibles :
- Cadrer, recadrer, etc…
- Cacher, masquer, effacer autour, etc…
- Extraire un détail, etc…
- Entourer, cerner, encadrer, etc…
Exemples d’artistes
Georgia O’Keeffe : ses peintures de fleurs agrandies isolent le sujet jusqu’à le rendre presque abstrait.

Edward Hopper : l’isolement des personnages et des lieux renforce le sentiment de solitude et de silence.

Isoler permet de diriger le regard, de modifier le sens d’une image et de questionner le rapport entre le tout et la partie.
Transformer
Transformer consiste à modifier l’apparence, la structure ou la nature d’un élément.
Actions possibles :
- Déformer, fragmenter, dissocier, etc…
- Agrandir, rétrécir, changer d’échelle, etc…
- Inverser, altérer, combiner, etc…
- Changer de technique ou de support, etc…
Exemples d’artistes
Georges Braques : dans le cubisme, la déformation et la fragmentation du réel permettent de représenter plusieurs points de vue simultanément.

Alberto Giacometti : l’allongement excessif des figures transforme le corps humain en une forme expressive et fragile.
Je vous invite à visiter le site de la fondation Giacometti pour découvrir le travail de l’artiste : L’Homme qui Marche.
Plus largement, la transformation même de la matière : la peinture est une pâte pigmentée qui prendra diverses formes et finira par “ressembler” à quelque chose. De même qu’un bloc de granite est sculpté par le sculpteur pour lui donner une nouvelle forme.
Transformer, c’est accepter que la matière résiste, évolue, et que l’œuvre se construise dans le dialogue avec les actions.
Associer
Associer consiste à mettre en relation plusieurs éléments entre eux.
Actions possibles :
- Juxtaposer, superposer, etc…
- Assembler, imbriquer, etc…
- Rapprocher, opposer, relier, etc…
Exemples d’artistes
Hannah Höch : ses photomontages associent des images hétérogènes pour produire un sens critique et politique.

Robert Rauschenberg : les Combines mêlent peinture, objets et matériaux du quotidien.
Je vous invite à visiter le site de la fondation Rauschenberg pour découvrir le travail de l’artiste : Oeuvre Retroactive
Associer permet de créer du sens par la confrontation, le contraste ou la complémentarité.
Pour en savoir plus sur le collage et l’assemblage, lisez l’article sur l’Histoire de l’Art Contemporain de Jean-Luc Chalumeau.
Tableau des opérations plastiques
Voici un tableau détaillé des différents actes plastiques :
Cliquez sur le tableau pour le télécharger 😉

Pourquoi connaître les opérations plastiques ?
Pour analyser les œuvres
Identifier les opérations plastiques permet de dépasser le simple jugement de goût. On apprend à :
- comprendre comment une œuvre est construite
- repérer les choix de l’artiste
- interpréter le sens produit par ces choix
Pour construire sa pratique artistique
Les opérations plastiques offrent un cadre de travail particulièrement fécond. Elles permettent de :
- éviter le blocage face à la page blanche (expérimentez ! 😉 )
- explorer plusieurs pistes à partir d’un même point de départ
- renforcer le propos de son travail
Elles ne brident pas la créativité : elles lui donnent des points d’appui.
Les opérations plastiques comme outil d’apprentissage
Dans une démarche pédagogique, les opérations plastiques sont essentielles. Elles permettent de :
- formuler des consignes ouvertes
- valoriser l’expérimentation plutôt que le résultat
- relier pratique, analyse et verbalisation
Elles invitent à considérer l’art comme un processus de recherche, et non comme une simple production décorative.
Pour conclure
Les opérations plastiques ne sont ni des recettes, ni des règles à appliquer mécaniquement. Elles constituent une boîte à outils conceptuelle pour comprendre, analyser et créer.
Apprendre à les identifier, c’est apprendre à penser l’art autrement : comme un ensemble de choix, d’actions et de transformations. C’est dans cet aller-retour constant entre faire et réfléchir que se construit une véritable démarche artistique.
